Peu à peu, les réticences des entreprises vis-à-vis du travail à distance disparaissent. 8 à 10% des salariés du tertiaire y auraient déjà recours, même si des questions demeurent.

Gain de temps, stress en moins, c’est « que du bon », affirme une convertie au télétravail. A condition de ne pas en abuser. Avec l’explosion des nouvelles technologies, la pratique monte en puissance en France mais reste souvent hors des clous fixés par la loi. A l’heure de la COP 21, comme après les attentats, le télétravail est apparu comme une solution pour des salariés et certaines entreprises. Or n’est pas télétravailleur qui veut.

Depuis 2012, le code du travail définit précisément le télétravail: un travail qui « aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur », mais effectué « hors de ces locaux de façon régulière et volontaire » et encadré par un avenant au contrat de travail. Sont donc exclus les travailleurs à domicile, les salariés nomades tels que les commerciaux ou les auditeurs, ainsi que les cadres travaillant occasionnellement de chez eux sans que leur contrat ne le prévoie. Typiquement le cas où « l’on reste à la maison quand on a un problème de nounou ou de transport », relève Stéphane Béal, directeur du département droit social du cabinet d’avocats Fidal.

8 à 10% dans le tertiaire

Ce télétravail non formalisé, dit « gris », représenterait les deux tiers des cas, selon les enquêtes régulièrement publiées, qui mêlent souvent télétravailleurs déclarés et les autres. Toutes montrent qu’en quelques années, le télétravail « a augmenté dans des proportions importantes », « la mayonnaise est en train de prendre », affirme Jérôme Chemin, secrétaire national à la CFDT. Mais faute de statistiques officielles, cette progression est « très difficile » à mesurer, souligne Yves Lasfargue, directeur de l’observatoire spécialisé Obergo.

Si le travail à distance « se développe », « il est peut-être de 8 ou 10% » dans le tertiaire mais dans les entreprises industrielles, il se situe « entre 2 et 5%. A terme, « on ne dépassera probablement pas 12% de télétravailleurs » au sens de la loi, affirme néanmoins Yves Lasfargue.

Dans tous les cas, les pratiquants plébiscitent cette forme de travail. « C’est que du bon, une qualité de vie appréciable », raconte Sylvie Duronsoy, assistante de direction chez Axa, où plus de 1200 salariés télétravaillent avec un avenant. Deux fois par semaine, les mardis et jeudis, « jours de transport les plus chargés », la quinquagénaire fait l’économie de plus de 3 heures 30 de trajet, entre le Val-d’Oise et son bureau à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine.

« C’est une économie de fatigue de déplacement et de stress qui va avec », confirme une autre salariée de l’assureur, cadre, qui « plus au calme » a le sentiment de « travailler plus efficacement ». Outre ces motivations, régulièrement citées, le télétravail ouvre des perspectives de maintien d’emploi dans les zones rurales, d’insertion des travailleurs handicapés, sans oublier les bénéfices des économies de carburant.

« Ce n’était pas gagné avec les managers »

Peu à peu, les réticences de l’encadrement qui ont longtemps freiné le télétravail tombent. Chez Axa, « ce n’était pas gagné au départ avec les managers », reconnait Sibylle Quéré-Becker, directrice du développement social d’Axa-France. Dans un système français « assez présentéiste », « ils se demandaient comme ils allaient gérer ces salariés, il a fallu les accompagner ». Le groupe vient de renouveler pour trois ans son accord avec les syndicats pour assouplir les conditions: disparition de la clause d’ancienneté et déclenchement de télétravail occasionnel pour tous les salariés dans des circonstances exceptionnelles, comme des situations de crise, de catastrophe naturelle…

A La Poste, l’objectif initial de 1000 télétravailleurs en trois ans a été « largement dépassé ». « On en est à 1359 salariés, soit à peu près 7% des 20 000 personnes éligibles », c’est à dire autonomes et utilisant les nouvelles technologies, souligne Jean-Yves Petit, directeur des relations sociales. Le baromètre interne est sans appel: 98% des télétravailleurs du groupe postal notent une amélioration de leur qualité de vie et presque autant de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

Si une écrasante majorité oeuvre à domicile, 8% rejoignent des « centres de proximité » près de chez eux. Une tendance confirmée à l’échelle nationale par une récente enquête BVA-Sémaphores: 21% des télétravailleurs utilisent des bureaux proches mis à disposition par l’entreprise et 7% des espaces de coworking. Selon cette enquête, le télétravail se conjugue essentiellement au masculin et concerne surtout les 35-49 ans du secteur privé, le plus souvent cadres.

Pour éviter le principal écueil – le risque d’isolement social et professionnel -, il « faut organiser » la relation entre le salarié et l’entreprise en conservant « des moments de rencontre réguliers », prévient l’avocat Stéphane Béal. Les « conséquences négatives » commencent « à partir de trois jours », selon Yves Lasfargue. Pour cette raison, la plupart des grandes entreprises limitent le nombre de jours télétravaillés. En pratique, il est de 1,8 jour en moyenne. Dans la fonction publique, un décret doit prochainement préciser les modalités de télétravail, en fixant notamment un maximum de trois jours par semaine.

Du travail en plus?

Autre point de vigilance: le temps de travail. Car contrairement à une idée reçue, avec moins de transport et de pauses, plus de six télétravailleurs sur dix disent travailler davantage, selon l’enquête Obergo 2015. Ils travaillent « plus longtemps » mais leur satisfaction est « meilleure », souligne Jérôme Chemin, de la CFDT. Un « paradoxe » qui force à s’interroger sur « la mesure de la charge de travail » et « plus seulement le temps », comme l’a recommandé le rapport Mettling, remis en septembre au gouvernement.

Pour préserver la santé des télétravailleurs, le syndicat CGT des cadres demande également une « évaluation de la charge de travail » mais reste attaché à un « décompte des heures ». Il appelle aussi à un « renforcement de la réglementation » en cas d’accident au domicile. Alors que la commission présidée par le DRH d’Orange Bruno Mettling invitait les entreprises à « réguler collectivement le télétravail » et sortir des « tolérances et arrangements individuels », le ministère du Travail n’a pas encore décidé si les accords d’entreprise, actuellement facultatifs, deviendront obligatoires.

A ce jour « entre 100 et 120 entreprises » ont signé un accord, selon l’Observatoire Obergo. C’est utile pour celles désirant limiter les risques de contentieux, « cadrer les choses » ou « développer le télétravail pour faire une économie de locaux », estime l’avocat Stéphane Béal. Mais les rendre obligatoires serait selon lui « contreproductif », « une usine à gaz pour les petites entreprises ».

Source : un article de L’Express du 07 juin 2016